♣ Les Songes de Dolly – Épisode I : Le Cycle de la Nature ♣

La vie meurt et renaît… et il en va de même pour les jours et les rêves. Lors des nuits suivant sa supposée résurrection, Dolly, la mystérieuse enfant d’une union improbable se plonge dans des songes hantés par des souvenirs d’une autre vie…

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Les Songes de Dolly – Épisode I : Le Cycle de la Nature

La vie… La vie germe puis se fane… Tel est son cycle incessant… et tel est celui des rêves. Un fil d’imagination… constamment recousu dès lors qu’il se déchire jusqu’à ce qu’il puisse compléter sa prochaine forme.

Cette nuit, ce fut l’éclat du Soleil associé au son des branches d’arbres qui ouvrirent mes yeux dans le monde des songes. Une brise caressa mon corps, changeant ma robe en une minuscule mer blanche déchaînée. Mes cheveux dansèrent avec l’herbe, s’enlaçant dans un bal d’or et d’émeraude. Je glissai mes doigts pâles entre les plantes qui m’accueillirent d’un toucher doux et humide. Mon regard ne put que fixer l’immense dieu solaire, dont la chaude lumière divine n’effrayait pourtant pas mes yeux de démon. Cette chance d’être ici réchauffa mon cœur, bien que mon corps fût redevenu incapable d’exprimer un sourire. Les humains ne vivent que rarement des moments aussi agréablement réalistes pour leurs sens lors de leur sommeil… des instants que je pouvais vivre aisément dans mes songes. Ironiquement, je rêvais de contes de fées le jour et je rêvais des délicatesses de la réalité la nuit… Je me souvins ainsi d’une raison pour laquelle les inconnus me trouvaient aussi étrange… et pour mes parents et mes amis, « créative ».

Alors que des flèches noires de plumes traversèrent l’échange entre ma vue et la plus forte lueur du ciel, je m’animai, prête à sortir de ce bain de fraîcheur et de chaleur. Dans mon mouvement, j’entendis une voix aigüe inhumaine et malsaine, complètement intruse à ce paradis naturel.

« Les flammes dansent… le vent chante… la foudre applaudit… Le temps est enfin venu de peindre un nouveau chef-d’œuvre, Dolly… »

Je me demandais ce que ces mots sous-entendaient, particulièrement parce qu’ils se rapportaient à ma plus profonde passion… mais étant dans un rêve, ils furent rapidement écartés de mes pensées.

Alors que je me fus dressée sous le projecteur céleste, une vaste forêt avait fait de même face à moi, un océan vert et brun qui changeait bien des bois orange automnaux dont j’étais si familière. Les grands buissons et les arbres les plus proches s’agitaient violemment, mais leurs gestes n’étaient pas l’œuvre du vent… une tout autre présence invisible semblait les effrayer. Je commençai ma promenade détendue dans ce nouveau mirage infini de mon esprit… L’herbe et les fleurs profitaient de mes sandales pour me chatouiller et l’épaisse mousse qui couvrait de nombreuses portions du sol craquait doucement sous mes pieds.

Ayant traversé le voile végétal, un chemin de terre apparut devant moi et la nature m’offrit une autre de ses merveilleuses chorales. Les oiseaux chantaient et les arbres jouaient avec leurs feuilles, tandis qu’un parfum printanier m’apportait sa saveur oubliée. Un tel instant ne pouvait que me faire désirer les gâteaux aux fraises que me faisait ma mère… non pas pour retrouver les goûts préférés de mon palais, mais les moments qui les accompagnaient…

« Dolly… Dolly… murmura l’entité mystérieuse d’un ton presque moqueur. »

Au son de cet appel, les végétaux devinrent plus agités. D’autres sons d’animaux commencèrent à se faire entendre… des frelons… des faucons… des loups… des ours… des tigres… bien trop de bêtes redoutables pour une seule forêt…

« Tu ne t’en souviens donc pas ? demanda l’entité inconnue avec une curiosité enfantine. »

Les bourdonnements devinrent plus forts et les grognements des prédateurs se firent entendre.

« Les flammes… le sang… les décombres… répondit la même voix avec une intonation sinistre. »

Divers animaux carnivores traversèrent rapidement les bois qui m’entouraient, courant certainement vers une proie éloignée.

« L’exquise odeur de brûlé… les doux cris de terreur… la merveilleuse destruction… ajouta la personne invisible avec malice. »

Des cris de créatures apeurées traversaient le lieu, étouffés par les grognements et la violence de bêtes affamées.

« La splendide mort rouge dans le ciel… et puis… le noir total… »

La nature cessa de chanter. La beauté de la forêt demeurait, mais son soudain silence était glacial. Ma promenade avait ralenti bien qu’elle ne fût pas estompée… Je n’étais même plus sûre qu’avancer était une bonne idée… et pourtant, je le faisais.

« Mais heureusement… nous allons enfin pouvoir jouer encore… Ce temps ennuyeux arrive à sa fin ! s’exclama l’inconnu d’une joie démente. »

De longues minutes passèrent et les bruits sauvages revinrent lentement à l’existence… mais sans que je puisse l’expliquer, ils paraissaient à la fois différents et à la fois identiques à leurs prédécesseurs… Ma marche continua et il en fut de même pour la découverte de tout ce que la nature onirique avait encore à me proposer.

Le temps passa rapidement, et avec lui, l’ennui s’installa avec la répétitivité. Mon esprit était ailleurs… alors qu’il errait pourtant déjà dans des rêves. Mais je revins soudainement à moi quand j’entendis une nouvelle voix… non, plusieurs voix mélangées, dont une qui était bien plus grave et presque démoniaque… Elles s’exprimèrent d’abord comme si elles ne faisaient qu’une avec le vent, puis devinrent plus intelligibles.

« Tu n’as pas choisi la bonne carte… Ton chemin va s’arrêter ici… »

Je me reconcentrai sur mon environnement, qui était devenu soudainement plus sombre. Les feuillages loin devant moi étaient en train de noircir et l’air portait la morsure d’un blizzard. On pouvait presque croire que des dizaines de corbeaux étaient perchés sur les arbres de mon chemin. De faibles échos de centaines de paroles toutes différentes se dispersaient autour de mes oreilles… C’était comme si tous les êtres vivants imaginables dans l’univers de toutes époques s’exprimaient ici même.

« Joins-nous… unis-toi à notre chair… Intègre le paradis de notre masse… plus rien ne pourra te faire du mal quand la perfection éclipsera la prétention du métal…

— Comme c’est dommage… une autre marionnette va devoir naître…

— Misérables mortels insolents ! Vous allez payer de votre impudence par votre sang !

— Vous êtes drôles ! Mais voyez-vous, cela n’était point son plan ! Par la plus exquise des ironies, il était le masque… et j’étais le véritable visage !

— Par la Sainte Prune et Mortamon ! Ces sinistres hérétiques nous attaquent !

— Ce pays est malade… rongé de l’intérieur par un cancer contre lequel il refuse de lutter… Mais ses cendres peuvent servir de terreau à la plus majestueuse des forêts harmonieuses… L’Ouragan fauchera cette terre infectée et y éparpillera les nouvelles graines de l’espoir !

— Le feu est ce qui me garde en vie… mais aussi ce qui prend celle des autres. Pour une fois, ce sera les flammes qui me consumeront… pour sauver tous ceux qui me sont chers !

— La haine brûle même en toi, ma chère “Élue”… Par tes multiples massacres impitoyables, tu as toi aussi nourri ma puissance ! Frappe donc tes lames de lumière contre mes griffes et nous serons tous deux plus proches d’offrir à l’univers le destin qu’il languit depuis même sa naissance ! »

J’étais parvenue à comprendre plusieurs phrases, mais les sons étaient si nombreux que je ne pouvais ni identifier la voix exacte de chaque individu ni percevoir quel ton était employé derrière chaque parole… Il me parut même entendre des centaines d’animaux en même temps…

Quand le silence revint, les plumages noirs dans les arbres se dégarnirent. Les feuilles flottèrent devant moi et devinrent une nuée de pures ténèbres qui explosa sous la forme de tissus obscurs. Cette ombre développa une tête et des bras avant de se coudre une cape d’une parfaite noirceur. Des os se formèrent sur sa figure encapuchonnée et devinrent un crâne auquel manquait la mâchoire inférieure. L’obscurité qui entourait ses bras donna forme à une faux imposante dont la créature au visage de mort s’empara sans hésitation.

Cette faucheuse, bien que terrifiante, avait une apparence qui m’était familière et agréable. « Un crâne pâle comme la Lune dont le corps et les traits de visage étaient tel un amas de ténèbres »… C’était ainsi qu’était souvent décrit la « Mort noire »… mon père, l’un des plus forts démons connus dans l’univers… Un grand homme qui a accompli sa rédemption en rejetant sa cruelle nature il y a bien longtemps et qui a connu de nombreuses réincarnations… Mais ce qui était devant moi n’était pas le doux parent excentrique que j’avais connu, mais quelque chose de comparable à certaines de ses précédentes incarnations… Une créature d’anciennes légendes, née pour ôter la vie des autres.

Je ne pouvais plus bouger alors que mon corps était enserré dans le drap froid de mon décès imminent. La mort brandit son arme et accomplit son cruel travail en un éclair. Mes yeux tremblaient, perdus dans les souvenirs restants de mon existence. Je ne ressentais plus rien. À ce moment, c’était mon cœur qui put voir la lumière du Soleil et sentir la froideur de la Lune. Des litres de sang s’en échappaient, cascadant de l’immense plaie sur ma poitrine. Et pourtant, ce n’était pas la perte de mon sang qui avait allégé mon cœur, mais autre chose dont le souvenir m’avait échappé… Le métal glacial avait libéré mes entrailles, et avec elles le feu de mon âme.

Bien que je ne pusse sentir presque aucune douleur, la blessure me fit tomber à genoux avant de me forcer à m’effondrer face contre terre. Je pus voir et sentir le sol plus proche que jamais alors que mon liquide vital vint le rejoindre lentement. Je vis des insectes, portant de minuscules morceaux de fruits, qui voyageaient bravement sur le chemin qui devait mener à leur tanière. Certains purent quitter mon champ de vision désormais flou, d’autres furent dévorés ou écrasés par des petits animaux gigantesques pour eux. Au loin, des cris de prédateurs variés pouvaient être de nouveau entendus. Je faisais désormais partie moi aussi de la danse de la vie…

« Le sang est donc la couleur de ma brève nouvelle existence… Le monde n’a même pas daigné m’expliquer quelle était ma place ici… me lamentai-je avec ma voix toujours si douce et amorphe. »

La nature allait me reprendre… moi qui semblais avoir échappé à ses lois avec ma nouvelle vie… Mais à ma surprise, la créature qui venait pour m’absorber n’était pas un être de chair, mais de bois. Une grande créature humanoïde s’approcha, son corps couvert d’écorces qui exprimaient un léger craquement à chaque mouvement. Son visage était telle une citrouille dans laquelle on aurait sculpté un visage souriant et effrayant, avec une lumière dorée intense qui remplaçait celle de la bougie. Bien qu’il eût la peau d’un arbre, cet individu végétal avait presque la silhouette d’un homme colossal, avec un physique musclé et imposant. Quelques parties de son corps étaient irrégulières avec des appendices pointus semblables à des branches, portant des feuilles à leurs bouts. Son bras droit était la plus forte incohérence, massif, déformé et ressemblant à l’union d’un tronc d’arbre et d’une main griffue. Sa respiration infernale sonnait comme le souffle d’un volcan et ses petits grognements végétaux ressemblaient à un rire sadique.

Alors qu’il s’était approché de moi et me noya sous son ombre et sa lourde présence, il dressa rapidement son bras droit comme pour me griffer fatalement. Avant qu’il ne pût frapper, des cris semblables à ses sons résonnèrent non loin. Une créature presque identique à lui courut dans notre direction. Seules ses irrégularités distinctes séparaient son apparence de celles de son semblable.

Les deux monstres de bois se confrontèrent, leurs visages tordus de rage et leurs grognements lourds comme une explosion volcanique. Leurs bouches bougeaient comme une mâchoire de squelette et exprimaient des bruits qui semblaient être des mots que je ne pouvais absolument pas comprendre. Après un bref échange, ce furent leurs poings qui se déchaînèrent dans un lourd fracas. Ils s’éloignèrent lentement, leurs têtes s’observant sans interruption comme pour anticiper leurs prochains mouvements. Avais-je été épargnée ? Ou bien mes bourreaux s’affrontaient-ils pour déterminer lequel méritait de me consumer ? Quoiqu’il en fût, j’étais toujours à la merci de la nature… Les sons de l’écosystème continuaient à vivre autour de moi, m’encerclant dans une cage enflammée toujours plus serrée.

Cependant, ce fut le silence qui vint saisir son règne soudainement. La vie disparaissait, les couleurs s’évaporaient et la noirceur imposait sa tyrannie. Le ciel s’en alla avec le Soleil, laissant une atmosphère sombre où flottaient des poussières d’un sinistre teint violet. Un faible son, liquide, s’écoulait dans l’air, griffant doucement mes tympans d’une macabre symphonie. La terre devant moi voyait une eau noirâtre comparable à de la lave en fusion voiler sa surface dans un linceul qui ne pouvait venir que d’ailleurs. Du cœur de cette substance d’un autre monde émergeait une masse vaguement féminine, au regard brûlant d’améthyste, aux cheveux de serpents et aux bras fins et griffus.

« Pauvre enfant… N’as-tu toujours pas compris ? “Le cycle ne s’achèvera jamais…” Les rouages du péché continueront de tourner… Mais si tu leur prêtes ton sang à ton tour, tu pourras intégrer la grande machine du chaos… celle qui mettra fin au paradoxe de l’existence. »

Un sourire pointu se dessina sur son visage d’ombre, qui comme ses yeux et son nez osseux, semblait fait de flammes lugubres. L’entité s’approcha alors qu’elle tendit un fruit vers moi, qui s’apparentait à une pomme teintée de lavande qui n’avait que peu de différences avec sa détentrice. Ses longues griffes aiguisées parurent se serrer davantage en m’approchant, tout autant que son rictus s’intensifia au-delà des limites naturelles de toute expression humaine.

« Tu n’as pas besoin de réfléchir… Dans les griffes de la mort, une morsure suffit… pour devenir un nouveau jardin de l’entropie. »

Je fus ensevelie sous la matière noire et liquide… un bruit retentit, mais je ne pus distinguer s’il s’agissait du craquement de mes os ou celui d’une mâchoire qui croquait un grand fruit. Dans l’obscurité infinie, plusieurs chuchotements apaisants résonnaient dans une étrange harmonie…

« Tu es bien différente des éternels fragments de la vie qui peuple cette planète depuis ses temps primordiaux… Tu ne fais pas partie de leur cycle de renouvellement… tu ne devrais pas avoir ta place ici… Mais la façon dont tu immortalises leur beauté est un art qui ne peut qu’être accueilli chaleureusement. Viens nous voir dans le monde où les rêves se croisent… si tu gardes un cœur pur, nous t’accorderons un grand pouvoir. »

Le jour était revenu et ma nouvelle vie l’était aussi. J’avais ouvert doucement mes yeux pour rencontrer le doux faisceau de lumière qui se glissait à travers les rideaux de ma chambre. Je relâchai mon précieux ours en peluche et je repoussai doucement ma couverture qui s’affaissa sur elle-même comme une vague dans la mer. Je restai assise là, mon regard fixé sur le chemin du Soleil qui s’était dessiné sur mes mains cramponnées à mes draps. J’étais perdue dans mes souvenirs, aussi bien dans ceux de mon rêve que dans ceux de mon passé. Je me levai et je marchai lentement en direction du canevas blanc près de mon bureau, uniquement accompagnée par de faibles plaintes du bois sous mes pas légers… Je m’immobilisais, mon regard perdu dans ce berceau de ma vie et mon esprit égaré dans des souvenirs d’une autre existence…

Les jours continuaient de se répéter… Tel est le cycle incessant de la nature… La vie finit par se faner, avant de germer à nouveau… Telle est la vie… et tels sont les rêves et la réalité. Le jour consume les rêves et les rêves consument le jour… Avec cette pensée, je contemplai une photo de moi bien plus jeune et de mes parents… et la serra contre mon cœur.


Couverture créée à partir d’une image libre de droits.

Par Calvin Yapi

Mortamon

Auteur : Mortamon Y.

Écrivain en herbe à l’imagination débordante, passionné de jeux vidéos, et prêtre de la Sainte Prune. Quand je ne suis pas occupé par l’écriture de mes livres, je crée divers contenus autour de mes créations ou des critiques et des vidéos sur des jeux. Passez un agréable séjour dans mes multiples mondes imaginaires…

7 réflexions sur « ♣ Les Songes de Dolly – Épisode I : Le Cycle de la Nature ♣ »

  1. Salut Mortamon ! désolé de commenter 10ans après sa publication (pile poil 1 mois). Comme on dit mieux vaut tard que jamais ! La lecture de ce premier épisode des songes de Dolly fut particulièrement agréable ! Hâte de voir la finalité de tout ce projet et surtout du roman principal autour des rêves de Dolly comme tu l’avais annoncé ! On ressent vraiment le travail sur la forme que tu as évoqué avec les paragraphes et alinéas etc… Mention spéciale aussi pour la couverture que tu as vraiment bien choisit 😉 Je dois aussi dire que tu m’as embarqué dans cet univers grâce à ces enchaînements descriptifs et métaphoriques sur ce pays et son éco-système. Hâte à l’avenir d’en apprendre plus sur Dolly et son histoire 😉 En tout cas tu peux être déjà fier de ce travail que tu as accompli, on sent vraiment l’âme d’un écrivain et surtout de ton imaginaire ! Je ne doute pas que tu vas certainement encore progresser et te perfectionner comme tu le souhaites ! Bon courage Mortamon^^

    Aimé par 1 personne

    1. Salut Alexandre ! 😀
      Finalement, les retards sont notre spécialité commune. 😛
      Merci beaucoup pour ton commentaire avec ton avis détaillé ! Ça fait plaisir d’enfin avoir des retours !
      Je vais essayer de faire encore mieux avec les prochains épisodes ! Surtout qu’ils se doivent d’avoir plus de substance en ce qui concerne l’histoire. C’est un plaisir de les écrire et j’espère qu’ils resteront un plaisir pour toi à lire !
      Bonne continuation à toi, l’ami ! 🙂

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